
Bamako, comme au far west ?
Après le Nord et le Centre, Bamako est-elle, à son tour, en train de basculer sous l’influence morbide des vents mauvais ? La nouvelle année, que le gouvernement a accueillie avec moult cérémonies de présentation de vœux et qui a été l’occasion pour les départements ministériels de distribuer, dans un beau mouvement d’ensemble, des distinctions honorifiques à beaucoup d’agents, semble, au vu de la tendance de ce mois de janvier, nous mener droit dans un cambouis social.
Une très grande personnalité de notre époque, accablée par l’étalage public de problèmes familiaux intimes, avait évoqué une »Annus horribilis’‘ (que je ne ferai pas l’insulte à nos lecteurs de traduire).
Les Maliens, qui entament leur sixième année de malheurs de toutes sortes seront, certainement, amenés à rechercher une expression plus saisissante dans leur vocabulaire étalé (par la force des épreuves) pour qualifier 2019.
Ces augures seront-ils démentis ? Nous le souhaitons vivement.
Mais, force nous est, aujourd’hui, sous la multiplication des signaux sombres, de nous départir de tout optimisme béat, et de nous préparer au pire. Dont les racines ont trouvé bonne prise au septentrion de notre pays (où les mouvements rebelles entretiennent le dilatoire au gré de leurs intérêts, L’Indépendant N° 4652 du 31 janvier), s’enfoncent au Centre où s’emmêlent, dans un ballet sanglant, affrontements communautaires, exécutions sommaires et razzias meurtrières jihadistes.
Classée la ville la plus sale de l’espace UEMOA, notre capitale est en train d’ajouter à son peu glorieux palmarès sa figuration parmi les cités criminogènes de la sous- région. Soigneusement occulté dans les statistiques officielles, le nombre de crimes perpétrés au quotidien dans « la ville aux trois caïmans » n’est guère loin de la dizaine.
Ce que confirme plutôt la tendance du mois de janvier, qui affiche cinq (5) meurtres. Par leur cruauté, le statut social des victimes et leur mode opératoire, les cinq assassinats, portés à la connaissance du public, sont révélateurs du sang-froid, de la volonté de donner la mort et du savoir-faire de leurs auteurs, mais ils sont surtout indicateurs du degré de criminalité et de dégradation morale au sein d’une cité jadis réputée pour sa convivialité et son attachement aux valeurs hospitalières.
Le jeudi 10 janvier, Aboubacar Sacko, avec un sang-froid consommé, abattait son ami Kalilou Coulibaly avant de jeter dans un puits son corps sans vie, qu’il recouvrit de blocs de rocher et d’autres objets volumineux, afin d’annihiler toute chance de le retrouver.
A peine remise de l’émotion de cette macabre affaire, liée à une sombre histoire d’argent, l’opinion bamakoise replongeait, neuf jours plus tard, dans une autre horreur, provoquée par le meurtre de l’Imam Abdoul Aziz Yattabaré, à l’aube, sur le chemin de la mosquée.
Le 24 janvier, Oumar Touré, jeune commerçant de 43 ans, d’abord agressé devant son épouse et sa fille dans son salon, par des malfrats qui l’avaient pisté et suivi jusqu’à son domicile, était, ensuite, abattu par balles, de façon rocambolesque, dans la rue (L’Indépendant N° 4649 du lundi 28 janvier).
Un jeune apprenti Sotrama, la gorge tranchée par un passager, à la suite d’une banale histoire de monnaie, rendit l’âme, dimanche 27 janvier, sans avoir, sans doute, réalisé ce qu’il lui arrivait.
Enfin, dernière affaire révélée à l’opinion, une dame était victime d’une fusillade, vendredi 25 janvier, alors qu’elle était en voiture, en compagnie d’un monsieur, qui aurait pu être la cible des bandits. L’enquête, en cours, déterminera (peut-être) si la victime est tombée sous les coups de balles perdues ou en était la destinataire.
Cette plongée au cœur du crime et de l’indigence morale ne doit rien au hasard. Elle résulte essentiellement de la ghettoïsation de larges secteurs de notre capitale, de la forte montée de l’incivisme, de la culture de l’impunité par la démission et, parfois, la complicité des forces de sécurité et du laisser-aller d’une société qui a jeté son dévolu sur l’argent facile, encouragée en cela par l’exemplarité de l’Autorité.
L’insécurité ambiante de la capitale sera certainement, dans les jours et mois à venir, le sujet de prédilection de dissertation et de polémiques des Bamakois. L’on ne peut plus se taire ou se détourner d’un phénomène qui va constituer une menace grosse de périls pour notre environnement et nos vies.
En annonçant à grand tapage la mobilisation des forces de sécurité contre la »gangstérisation » de notre cité, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile n’a pas, loin s’en faut, apporté l’apaisement à des populations lassées des méthodes du régime, davantage axées sur la mise en scène et le »m’as-tu vuisme » que frappées du sceau de l’efficacité.
Ils sont pléthore ceux qui reprochent à notre police son manque d’anticipation et même une certaine complaisance vis-à-vis de la pègre, dont elle n’ignore rien des repaires, des modus operandi et même des projets.
Ces citadins se demandent pourquoi nos limiers sont toujours en retard d’opérations, alors qu’ils connaissent tous les coins et recoins malfamés où se trament les projets les plus sordides du milieu.
La Maison poulaga ne retrouvera véritablement son crédit, aujourd’hui très érodé, que si elle renouait avec les réflexes de maintien de l’ordre public, en remettant, notamment, au pas les kamikazes de la circulation routière et en démantelant les différents gangs, figurant en bonne place dans ses fiches.
Faute de quoi, la communauté musulmane, profondément indignée et blessée par le meurtre de son guide, l’Imam Yattabaré et, en même temps, effrayée par la perspective d’être la mire de l’autre communauté, à laquelle elle voue un mépris souverain (les gays), pourrait être tentée (si elle ne l’est déjà) par une mobilisation de grande envergure-dont elle a largement les ressources humaines-pour faire avancer sa revendication de rétablissement de la peine de mort et, pourquoi pas, poser des actes concrets à l’encontre de ceux qui, pour elle, jettent l’opprobre sur la société.
Ce serait sans doute un voyage moyenâgeux pour le Mali, mais si c’était la garantie d’une thérapie sociale, peut être que les Maliens préfèreraient rendosser la peau de bête plutôt que le costard du dégénéré…
Source: l’Indépendant